DE L'INFAMIE A L'INVISIBILITÉ

Publié le par Hubert FAES

L’invisibilité sociale est un concept contemporain. Il correspond à des réalités sociales actuelles. Rien n’empêche cependant de trouver l’équivalent dans des contextes historiques passés, ni de tenter une généalogie des formes d’exclusion et d’invisibilité.

Vient de paraître à ce sujet un livre intéressant de l’historien italien Giacomo Todeschini : Au pays des sans-nom. Gens de mauvaise vie, personnes suspectes ou ordinaires du Moyen-Âge à l’époque moderne. Ce livre paru en Italie en 2007 vient d’être traduit et de paraître chez Verdier.

L’inauguration récente, en Guadeloupe, d’un mémorial de l’esclavage nous a rappelé que les esclaves n’avaient pas de nom. Ils étaient répertoriés par leurs prénoms et la filiation (Pierre, fils de Paul). N’avoir pas de nom, n’avoir pas d’état civil, c’est n’avoir pas sa place dans la société, n’être pas visible, ou plus exactement n’être pas considéré. A l’inverse, avoir un nom, à plus forte raison se faire un nom, c’est figurer parmi les étoiles (étymologie de « considérer »).

Todeschini n’en reste pas à la simple différence des sans-nom et des bien nommés, il étudie le langage de la renommée qui décrit et classe les personnes qui n’ont pas de nom, l’ont perdu ou sont exclus. Il fait une histoire des termes qui produisent inclusion et exclusion. Ceux-ci tels que crédit, réputation, infamie, fidélité, confiance et les usages qu’on en fait dans des contextes, théologique aussi bien qu’économique, servent une mécanique de délimitation de la communauté, de hiérarchisation aux niveaux spirituel et matériel. Tout en se transformant, ce langage continue d’opérer aujourd’hui.

Au regard de toute cette histoire, on peut s’interroger sur le sens et la pertinence de la nouvelle manière de caractériser les exclus par l’invisibilité. Par rapport à des caractéristiques souvent dépréciatives visant le manque de qualité ou de vertu des personnes concernées, les qualifier d’invisibles semble nettement moins dépréciatif. Elles se signaleraient paradoxalement par leur absence, leur insaisissabilité plutôt que par des qualités négatives. Elles ne seraient pas exclues mais simplement pas là. Ne nous trompons pas cependant, derrière un langage plus neutre, la machine de l’exclusion est toujours à l’œuvre. La mise en perspective historique est éclairante à cet égard. L’invisibilité n’est pas seulement constatée, elle est reprochée, c’est un défaut comme l’absence de nom.

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