PAUVRETÉ INVISIBLE

Publié le par Hubert FAES

   L’invisibilité peut résulter d’un déni, d’une volonté d’ignorer de la part de ceux qui devraient voir, mais aussi d’une volonté des invisibles eux-mêmes de rester obscur, d’échapper à la stigmatisation et à la dépendance. Mais elle peut venir aussi de ce que la réalité est insaisissable, trop complexe à appréhender. Cette complexité comporte plusieurs aspects: les multiples facteurs qui la composent, la diversité des points de vue, les limites des méthodes employées par la saisir. 
   Soit l’exemple de la pauvreté toujours d’actualité. Tous les pauvres ne sont pas invisibles. Certains sont même presque trop en vue, sans que cela change leur situation. Mais il y a une pauvreté invisible, celle de ceux dont personne ne croit qu’ils sont pauvres. Vu le nombre des chômeurs, ceux qui ont un emploi ne peuvent être des pauvres. Avoir un emploi, c’est déjà être riche! Dès qu’on parle de pauvreté, on se tourne vers les plus démunis, ce qui veut bien dire qu’on ne verra pas les pauvres qui précisément sont ceux qui ne sont pas dans un total dénuement. 
   Pour voir mieux, on s’efforce d’appréhender le phénomène de la pauvreté par les statistiques. On appréhende alors le phénomène en gros, pour une population, sans entrer dans le détail des situations qui reste invisible. Il apparaît bien alors que la pauvreté s’étend au-delà des plus démunis, mais sous des jours très variables selon les critères choisis, soit que l’on privilégie un seul critère (le revenu par exemple) ou au contraire la combinaison d’un ensemble de critères. On en vient toujours à fixer un seuil de manière conventionnelle. Ce qui est mis en évidence jette une certaine lumière sur le phénomène mais en cache aussi à coup sûr d’autres aspects. Dans la pauvreté que l’on rend apparente, il y a toujours de la pauvreté cachée. 
   Pour tenter de surmonter les limites des méthodes savantes, il est toujours possible d’appréhender mieux, par des enquêtes qualitatives auprès des personnes concernées, les conditions réelles de la pauvreté. La complexité n’est plus décomposée en éléments comptés objectivement, mais abordée dans l’expérience vécue. On aperçoit alors dans la pauvreté elle-même ce qui la rend invisible et si difficile à appréhender. Être pauvre, ce n’est pas être totalement démuni mais avoir trop peu de moyens pour ne pas être constamment sous la menace de ne plus pouvoir satisfaire ne serait-ce que ses besoins élémentaires et ceux de sa famille. Le moindre changement dans l’équilibre des facteurs met la personne en difficulté. Les conditions actuelles de la vie sociale accentue pour beaucoup cette situation (emplois précaires et partiels, instabilité familiale ou professionnelle, familles monoparentale, etc.). Dans un tel cadre, la réalité de la pauvreté et sa perception sont très variables même pour ceux qui la subissent. 
   La pauvreté qui n’en est pas moins réelle et massive requiert non seulement l’assistance et la solidarité, pas seulement une meilleure formation pour une meilleure compétitivité des individus, mais des réformes structurelles contre la précarité et l’inégalité. 

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