GILET JAUNE ET VISIBILITÉ SOCIALE
La fonction du gilet jaune est de rendre visible. Initialement, cette fonction est au service de la sécurité routière. Dans le mouvement social des gilets jaunes leur utilisation n’est plus sécuritaire, mais sociale. Un moyen créé et imposé par l’État est détourné de sa finalité première et utilisé par une certaine catégorie de la population pour se faire voir de l’État.
Au fil des nombreux articles de commentaire publiés dans la presse, il apparaît que sociologues et politologues ont bien du mal à appliquer, dans ce cas, les catégories disponibles. Ils soulignent l’hétérogénéité, la diversité de ceux qui se retrouvent et s’unissent par le port du gilet. L’analyse en termes de classe ou de catégorie socio-professionnelle est peu probante. Parler simplement du peuple est commode mais la notion est ambiguë et peu éclairante.
Dans cette détresse des moyens d’analyse, on n’a pas manqué de dire que ceux qui étaient jusque-là les invisibles, soudain se sont fait voir et entendre. Effectivement le mouvement rassemble non pas les plus pauvres - ceux-ci ne sont pas les plus invisibles, ils font l’objet de l’attention des médias, des associations et de l’administration – mais ceux qui sont juste au-dessus d’eux et se sentent délaissés dans une situation de plus en plus précaire.
Leur mouvement manifeste la pertinence d’analyses qui, récemment, ont mis en avant l’invisibilité sociale plutôt que la pauvreté économique et même l’exclusion sociale ; on ne pourra donc pas prétendre qu’il était imprévisible.
L’invisibilité sociale, rappelons-le, signifie que la pauvreté et la misère peuvent n’être pas principalement économique mais consister en un défaut d’intégration, de reconnaissance de la dignité des personnes et de participation. De ce point de vue, il ne suffira pas de s’être fait remarqué par le gilet jaune et par des violences, il faudra pouvoir passer de la visibilité à une communication démocratique, une communication où la parole de chacun a un certain pouvoir.